XVI
LA FIN D’UN RÊVE

Juché au sommet de l’échelle, l’enseigne de vaisseau Searle examinait le mécanisme compliqué de palans et de poulies qui pendait du toit. L’ensemble était visiblement relié à la structure du sémaphore sur la tour.

— Pas besoin de se demander pourquoi ils ont eu besoin de marins pour ce travail, Oliver. Pas un seul éléphant n’aurait pu se dépêtrer dans tout ça – il frôla le mur de pierre et fit la grimace. Il va nous falloir une grosse charge pour écrouler toute la tour.

— Toute la tour ? lui demanda Browne, étonné.

Searle faisait déjà signe à l’un de ses canonniers.

— Là-haut, Jones ! Et dépêchez-vous, mon garçon !

Et à Browne :

— Cette église est construite à la manière d’une forteresse. A votre avis, combien de temps faudrait-il aux Français pour remettre en place un autre sémaphore en haut de la tour, hein ?

Il se tourna vers le canonnier :

— Tassez bien vos charges sous l’escalier et contre le mur extérieur. Ça devrait faire l’affaire – et, comme l’homme restait silencieux : Eh bien, qu’y a-t-il, mon vieux ?

Jones se frottait le menton. Il leva les yeux vers l’échelle et une trappe qui s’ouvrait dans le toit.

— Je réfléchis, monsieur.

Il redescendit et on l’entendit qui discutait avec son compagnon.

— Mais quelle bande d’imbéciles !

Searle poussa sur la trappe.

— Et tout ça parce qu’il s’agit d’une église ! A les entendre, on dirait qu’on a affaire à de petits saints !

Searle disparut dans le trou et Browne le suivit. La brise qui soufflait sur la pointe le glaça sur place. Searle fulminait toujours :

— L’Eglise a encore commis bien plus de péchés que tous les marins réunis, voilà qui ne fait pas de doute !

— Je vous trouve bien cynique, pour quelqu’un d’aussi jeune !

Browne se dirigea vers le parapet et regarda vers la mer. Il faisait toujours trop sombre pour qu’il pût la voir. Sans les traces de sel, sans la généreuse couche de fiente déposée par les mouettes sur la tour, ils auraient pu être n’importe où.

Searle se mit à ricaner :

— Mon père est homme d’Église, normal que je sois au courant !

Browne entendit le bruit d’un corps que l’on tramait dans l’escalier et se souvint que le marin français n’avait même pas pris la peine de se saisir d’une arme lorsque Cooper, ce coupe-jarret de Lime House, l’avait égorgé. Il se souvint aussi des regards empreints de curiosité de tous ces Français qui les regardaient passer sur la route, lorsqu’ils avaient été faits prisonniers. Pour quelle raison auraient-ils été sur leurs gardes ? Il était hautement improbable qu’un habitant du nord ou de l’ouest de l’Angleterre s’attendît à voir surgir un Français.

— Monsieur !

— Moins fort ! ordonna Searle en redescendant l’échelle – que se passe-t-il ?

— Quelqu’un arrive !

Browne se précipita à l’autre parapet pour essayer de voir ce qui se passait en bas, là où devait se trouver l’entrée. Il distinguait un chemin pavé de petites pierres blanches et qui menait à une plage toute proche. Il vit soudain une ombre qui marchait dans le chemin puis, quelques secondes plus tard, entendit un choc métallique à la porte.

— Par tous les diables ! fit Searle en se précipitant dans l’escalier, ils sont arrivés plus tôt que je ne pensais !

Browne le suivit et l’entendit qui disait :

— Ne faites pas de bruit en marchant, Moubray ! Vous, paré à ouvrir la porte !

Browne se cramponna à l’échelle, il arrivait à peine à respirer. Après l’obscurité totale qui régnait sur le toit, le petit drame qui se jouait plus bas paraissait net et sans bavure. Searle, dont le pantalon blanc se détachait sur le vieux mur de pierre, le matelot Moubray qui remuait les pieds en faisant semblant de s’approcher de la porte. La clé tourna en grinçant dans la serrure et la porte pivota vers l’intérieur. L’homme qui se trouvait dehors cria quelque chose en entrant pour se protéger du froid.

Tout se passa en moins d’une seconde, qui parut à Browne une éternité. Le nouvel arrivant, un marin français, resta bouche bée en voyant le demi-cercle de silhouettes accroupies qui l’attendaient. Searle, sabre baissé, tandis que Jones, le canonnier, brandissait son mousquet au-dessus de sa tête comme une canne.

Puis tout se déroula en un éclair. Le Français, poussant un grand cri, tenta de regagner la porte, tandis que Jones abattait son mousquet sur lui. Mais, dans la confusion, ils avaient oublié l’existence de la flaque de sang qui avait dégouliné jusqu’en bas des marches lorsque le premier marin avait été tué. Jones poussa un cri en sentant son pied glisser, son mousquet lui échappa et le coup partit dans un bruit rendu encore plus violent dans cet espace confiné.

Browne entendit la balle s’écraser contre le mur en pierre, mais ne se rendit pas compte que Jones avait été touché en pleine figure.

— Occupez-vous de cet homme, imbécile ! cria Searle.

Cooper, pâle comme la mort, se jeta en bas des marches et, quelques secondes après, ils entendirent un hurlement terrifiant qui cessa brutalement.

Cooper revint, le souffle court, son poignard ensanglanté au poing. Il fit d’une voix haletante :

— Il y en a d’autres qui arrivent, monsieur !

Jones était tombé sur le sol, son sang se mêlait à celui du marin français.

— Occupez-vous de lui ! ordonna sèchement Browne – et à Searle : Nous allons devoir nous séparer !

Searle avait retrouvé son calme.

— Harding, activez avec vos mèches !

Le canonnier jeta un regard à son camarade et répondit seulement :

— Ça va pas, monsieur, pas dans une église et tout ça.

Searle fourra la main dans son manteau, en sortit l’un de ses pistolets et lui répondit froidement :

— Ne me parlez pas comme ça, espèce de porc superstitieux ! Je verrai à ce qu’on vous taille une chemise en caillebotis lorsque nous serons rentrés à bord, vous avez ma parole !

On donnait des coups de poing et des coups de pied dans la porte. Browne ordonna :

— Sortez-vous de là, les gars !

Il ferma les yeux quand un coup de feu fut envoyé dans le gros battant, on entendait de plus en plus de voix autour de l’édifice, comme si les morts s’étaient levés de leurs tombes pour chercher vengeance.

— Monsieur, il y a une porte de l’autre côté, fit Cooper. Toute petite. Je pense que c’est pour le ravitaillement.

— Je vais aller voir, Cooper, venez avec moi, lui répondit Searle – il jeta un regard lourd de sous-entendus à Browne : Surveillez-les, Oliver, ils vont essayer de s’enfuir s’ils croient qu’ils sont cuits.

Il passa entre les piliers usés d’un porche, leurs souliers claquaient sur les dalles comme s’ils défilaient.

Tout était tranquille à l’extérieur de l’église, Browne entendait la respiration haletante de Harding occupé à couper ses mèches, les craquements des barreaux de l’échelle sous le poids d’un marin qui montait les charges.

Harding murmura :

— A votre avis, monsieur, qu’est-ce qu’i’font ?

Il ne leva même pas les yeux, ses gros doigts travaillaient avec une délicatesse d’enfant pour terminer ce que son camarade avait commencé.

Browne soupçonnait quelques-uns des marins français ou des gardiens de la prison d’être allés courir prévenir les dragons. Ils n’allaient pas tarder à arriver. Il revoyait les longues queues de cheval noires, les grandes lames, cet air menaçant que les dragons réussissaient à dégager, même de loin. Il répondit à Harding :

— Ils attendent de voir ce que nous comptons faire. Ils ne savent pas qui nous sommes, d’où nous venons, rappelez-vous bien ça.

Jones poussa un grognement de douleur et Browne s’agenouilla près de lui. La balle lui avait arraché un œil ainsi qu’un morceau d’os large comme le pouce. Le marin du nom de Nicholl posa un morceau de tissu sur l’horrible blessure. A la pauvre lueur du fanal, Browne voyait bien la vie s’échapper du canonnier.

Jones murmura :

— Je suis fait, vous savez. Quelle bêtise, pas vrai ?

— Restez calme, Jones, ça va aller.

— Oh, mon Dieu, cria Jones d’une voix désespérée, aidez-moi !

Cooper se retourna et le fixa, hagard.

— Si t’aurais point glissé, ça s’rait point arrivé, espèce d’âne de Gallois !

Searle apparut à ce moment, les genoux et la poitrine couverts de poussière.

— Il y a une issue, toute petite et qui n’a apparemment pas été utilisée depuis des mois. En tout cas, pas depuis que la marine s’est installée dans l’église – il se tourna vers Harding : Combien de temps ?

— Je l’ai réglée à une demi-heure, monsieur.

Searle regarda Browne en soupirant :

— Vous voyez bien, c’est sans espoir – et, sèchement : Coupez-la à dix minutes, pas plus. Ensuite, Oliver, compléta-t-il à l’adresse de Browne, je ne garantis rien.

Browne inspecta ses pistolets pour s’occuper. Searle avait raison de réduire la longueur des mèches. Ils étaient venus détruire ce sémaphore, rompre la chaîne, il estimait que la plupart d’entre eux n’avaient même pas espéré faire ce à quoi ils étaient déjà parvenus. Pourtant, il n’était pas sûr qu’il aurait été capable de donner cet ordre avec la même autorité.

— On s’en va – et, comme deux de ses hommes se baissaient pour emporter Jones qui geignait toujours : Je ne suis pas sûr qu’il ira très loin.

— Un bon canonnier, commenta Searle. Mais, une fois à terre…

Il ne termina pas sa phrase.

Portant et traînant vaille que vaille le malheureux Jones, ils se frayèrent un passage jusqu’à la petite porte qu’ils ouvrirent en grand. Browne s’attendait à subir une fusillade et, quand le petit Cooper faufila sa mince carcasse dans l’embrasure, il serra les dents, craignant de voir une lame lui couper le cou.

Mais il ne se passa rien. Searle marmonna :

— Les Français ne sont pas meilleurs que Jones, on dirait.

— Attendez ici.

Browne se retourna vers le passage voûté où Harding attendait près de ses mèches.

— Je m’en occupe. Puis nous gagnerons la plage, on ne sait jamais.

Comme Searle s’engageait à son tour dans la porte, Browne se sentit soudain bien seul et mal à l’aise. Il s’avança vers Harding, ses souliers faisaient autant de bruit que des tambours.

— Etes-vous paré ?

— Oui, monsieur.

Harding ouvrit le volet de son fanal et alluma une mèche lente qu’il avait prise dans sa vareuse.

— On ne peut pas leur faire confiance, monsieur, pas pour des délais aussi courts – il jeta un coup d’œil dans l’ombre et ajouta d’un ton amer : Mais y en a qui le savent pas.

Fasciné, Browne le regarda frotter l’amadou à l’extrémité de la mèche, jusqu’à ce que le bout se mît à luire comme un ver luisant.

— On y va.

Les mèches commençaient à chuinter sourdement, les étincelles dormaient l’impression de progresser à une vitesse terrifiante. Harding le prit par la manche :

— Allez, monsieur, venez ! On n’a pas le temps de traîner !

Ils coururent dans l’église vide, sans se soucier ni du bruit qu’ils faisaient ni de garder un semblant de dignité. Des mains les tirèrent dehors dans l’air glacé. Browne trouva même le temps de remarquer quelques étoiles qui brillaient faiblement au-dessus d’eux.

— Nous avons entendu des chevaux ! lui dit Searle.

Browne se releva, il ne servait plus à rien de se dissimuler.

— Suivez-moi, les gars !

Ils se mirent à courir, courbés en deux. Jones brinquebalait entre eux comme un cadavre.

Browne aperçut devant lui le mur de la prison. Il détourna les yeux, il entendait les autres qui trébuchaient en jurant derrière lui. Ils faisaient un bruit d’enfer, mais il songea que c’était aussi bien, cela étouffait les bruits de sabots qui se rapprochaient rapidement. Il réussit à jeter :

— Ils vont commencer par l’église !

— J’espère que ça les fera sauter jusqu’en enfer ! cracha Searle.

Ils couraient vers le bord de la colline, Browne manqua tomber dans l’herbe mouillée. La plage était sans doute vide, mais au moins, c’était la mer.

Les chevaux faisaient claquer leurs sabots, il devina qu’ils avaient atteint la route. Quelqu’un cria :

— Faut qu’on s’arrête, monsieur ! Ce pauvre Jones est en train de mourir !

Le canonnier Harding hocha la tête :

— Ça sert à rien. J’vais rester avec mon compagnon, on va se faire prendre de toute façon.

Browne se tourna vers lui, furieux.

— Mais ils vont vous massacrer ! Vous ne comprenez donc pas ?

— Je porte l’uniforme du roi, monsieur, répliqua Harding qui campait sur ses positions. Je n’ai rien fait d’autre qu’obéir aux ordres !

Browne tentait de remettre de l’ordre dans ses idées, de se souvenir depuis combien de temps ils avaient mis le feu aux mèches. Il se retourna :

— Les autres, allez, venez !

Ils arrivèrent au sommet du sentier et le bruit familier du ressac leur parvint. Tandis qu’ils dévalaient le chemin étroit, Browne eut l’impression d’entendre un cri, mais le bruit se perdit immédiatement dans un grondement de sabots, et il devina que les dragons avaient trouvé Harding avec son ami agonisant.

Quelques secondes plus tard, ce fut l’explosion, assourdissante, énorme, comme la vengeance de Harding envers ses meurtriers. Toute la colline se mit à trembler, une volée de pierres balaya la pente comme une grêle de balles de mousquets.

— Allez, Cooper, ordonna Searle, avancez – il dut s’accrocher à Browne pour se retenir. Pas de quartier si nous sommes pris. J’espère que ça en valait la peine.

Au-dessus d’eux, la lumière mourait aussi rapidement qu’elle était née et Browne sentit l’odeur forte de la poudre brûlée qui dérivait dans le vent.

Cooper revint quelques minutes plus tard.

— J’ai trouvé un canot, monsieur. C’est qu’une malheureuse barcasse, mais c’est mieux que rien.

Searle lui fit un sourire dans l’obscurité :

— J’aimerais mieux partir à la nage que rester ici.

Cooper et Nicholl disparurent dans la nuit pour retrouver le canot. Browne commença :

— Je crois que quelques-uns des dragons sont restés sur place.

A son avis, l’explosion avait dû tuer tout le monde dans un rayon de vingt yards autour de l’église. Mais, à l’aube, les soldats allaient arriver par centaines pour fouiller chaque buisson, chaque bosquet.

Il se demandait si l’un des bâtiments de l’escadre avait été assez près pour entendre l’explosion.

— Ça va, Oliver, lui fit Searle, j’ai repris mon souffle. Passez devant.

Ils firent le tour du rocher en forme de chameau avant de descendre vers l’endroit où quelqu’un avait échoué un petit canot. Browne ne s’en souciait guère : il était peu probable qu’ils parvinssent à sortir de là, mais tout valait mieux qu’attendre sans rien faire pour finir massacrés.

— Halte-là* !

La sommation avait résonné comme un coup de feu.

Browne attira Searle près de lui et lui indiqua la direction :

— Par ici, plus haut.

Nouvel appel : Qui va là* ? mais cette fois, accompagné d’un cliquetis métallique.

Searle laissa échapper un cri de colère de colère et de désespoir :

— Qu’ils aillent au diable !

Ils entendaient des pieds qui glissaient et raclaient dans les rochers, Browne entendit un marin hurler :

— Tiens, prends ça, salopard !

Il aperçut Nicholl qu’illuminait le départ d’un mousquet, il avait tiré à bout portant ; il le vit lâcher son poignard puis tomber, mort. Mais, à la lueur de l’éclair, Browne eut le temps d’apercevoir trois, peut-être quatre soldats français.

— Parés ?

Il avait du mal à reconnaître le son de sa propre voix.

— C’est eux ou nous !

Searle hocha vigoureusement la tête. D’un seul mouvement, les deux officiers se mirent debout et, leurs pistolets armés à la main, s’élancèrent à la course pour franchir les quelques yards qui les séparaient de la plage.

On entendait des cris qui se changèrent en hurlements lorsque les pistolets eurent fait feu. On voyait les éclairs se réfléchir sur le sable humide. Deux des soldats s’effondrèrent en battant des pieds dans les rochers.

La petite silhouette de Cooper fonça en avant, un cri déchirant signala que son poignard avait fait une nouvelle victime.

Le dernier soldat survivant jeta son mousquet et se mit à hurler d’une voix suraiguë. Mais le bruit s’arrêta court et le marin du nom de Moubray vint rejoindre les officiers puis essuya son coutelas dans le sable.

— Ça, c’est pour Bill Harding, monsieur.

Browne tentait de recharger ses pistolets, mais ses mains tremblaient tant qu’il dut renoncer.

— Mettez le canot à l’eau, les gars.

Il vit Cooper qui se baissait sur un corps déjeté, il songea tristement qu’il devait essayer de le dépouiller. Il prit Cooper par l’épaule et le poussa rudement :

— Allez aider les autres ! Il va faire bientôt jour.

Il s’agenouilla pour examiner le cadavre. C’était celui du petit commandant qui leur avait fait ses adieux sur cette même plage. Eh bien, après tout, ils avaient fini par se retrouver.

— Que se passe-t-il ? lui demanda Searle.

Browne se releva, tout tremblant.

— Rien.

Searle termina de recharger ses pistolets sans aucune difficulté.

— Vous êtes vraiment extraordinaire, Oliver.

Est-ce vrai ? Est-ce vraiment ce que vous pensez de moi ?

Browne le suivit jusqu’au petit canot, mais s’arrêta un long moment pour regarder la forme sombre qui était déjà léchée par le flot. Il se sentait sali, volé. C’était comme s’il avait abandonné un ami et non un ennemi. Il finit par ordonner :

— Souquez dur, les gars ! Nous avons tout l’océan devant nous !

 

— En route au noroît quart nord, commandant !

Bolitho jeta un coup d’œil au grand hunier qui faseyait violemment, comme pour protester. L’Odin faisait route au près serré, plus serré que tout ce qu’il eût pu imaginer. Un bâtiment plus gros, comme le Benbow, aurait connu là de réelles difficultés.

— J’ai fait monter mes meilleures vigies en haut, amiral, lui dit Inch.

Bolitho regardait l’eau qui écumait sous le vent du soixante-quatre. Le bâtiment taillait bien sa route dans la brise qui forcissait. Il aperçut de petites taches claires qui affleuraient à la surface, alors que, un peu plus tôt, la nuit était encore totale. Les visages commençaient à émerger, les uniformes des fusiliers apparaissaient écarlates et non plus nous comme c’était le cas de nuit.

— Neuf brasses !

Le chant de l’homme de sonde arrivait jusqu’à l’arrière.

Bolitho jeta un rapide coup d’œil à M’Ewan, leur maître pilote. Il était calme apparemment, alors qu’une sonde de neuf brasses ne faisait guère d’eau sous la quille de l’Odin.

Il aperçut la terre pour la première fois, une ombre qui se détachait sur tribord et qui marquait l’entrée de la baie.

— Le vent est stable, amiral, lui dit Inch.

Mais il pensait à la sécurité de son bâtiment, si près de terre.

Bolitho regarda Stirling et l’aspirant du bord chargé des signaux, entourés de leurs aides, qui attendaient là près d’un tas de pavillons, parés à répondre aux ordres.

Il n’avait pas besoin de tourner la tête pour savoir qu’Allday était à quelques pas de lui, bras croisés, et qu’il surveillait la mer devant la figure de proue dorée et le boute-hors, tandis que le vaisseau faisait route vers l’entrée de la baie.

— Sept brasses !

Inch s’agitait, mal à l’aise.

— Monsieur Graham ! Nous allons infléchir notre route de deux rhumbs ! Venez au noroît quart ouest !

Graham leva son porte-voix. Inutile de ne plus faire de bruit : les chaloupes de débarquement étaient là où elles n’y étaient plus.

— Du monde aux bras, monsieur Finucane !

Inch regagna l’arrière et consulta le compas tandis que le vaisseau virait avant de se stabiliser à son nouveau cap. Ce n’était qu’un faible changement de route, mais cela leur donnerait de l’eau. Au-dessus du pont, les voiles se raidirent puis se gonflèrent sous l’effet du vent.

— Dix brasses !

L’aspirant de quart toussota dans sa main pour dissimuler son soulagement. Plusieurs des fusiliers tireurs d’élite se regardèrent en échangeant de grands sourires.

— Ohé, du pont ! Feux de mouillage devant à notre vent !

L’aube allait se lever dans quelques minutes. S’ils avaient respecté le plan d’attaque initial, ils auraient été à des milles de là, tous les vaisseaux et garde-côtes français auraient été alertés.

Il essayait de ne pas penser à Browne et à ce qui avait dû se produire, mais de se concentrer plutôt sur les ombres légèrement plus pâles et les lumières tremblotantes qui signalaient sans doute le mouillage.

Une explosion lointaine résonna en écho répété dans la baie. Bolitho savait que le bruit était réfléchi par la terre. Un canon de signal, un avertissement qui venait pourtant trop tard, alors qu’ils avaient déjà dépassé les vaisseaux endormis de Remond.

Le vent soufflait quasiment par le travers tribord. Avec la gîte prononcée, les pièces seraient plus à l’aise pour tirer les premières bordées. Les chefs de pièce faisaient déjà de grands gestes, les canonniers s’affairaient aux palans et aux anspects.

— Sur la crête, monsieur Graham ! cria Inch. A mon ordre !

— A carguer la grand-voile !

Cette énorme voile que l’on ferlait sur sa vergue évoquait à Bolitho un rideau que l’on relève. Le soleil commençait à briller et émergeait de la terre au-dessus de laquelle flottaient des bancs de brume et la fumée de feux de bois, qui faisaient comme des nuages bas.

Et les chaloupes de débarquement étaient mouillées à cet endroit.

Pendant un instant, Bolitho s’imagina que la lumière encore timide lui jouait des tours ou que ses yeux le trompaient. Il s’attendait à découvrir une centaine d’embarcations, alors qu’il y en avait bien trois fois plus, mouillées sur deux et trois lignes et qui occupaient tout le coude de la baie comme une véritable ville flottante.

Un vaisseau de guerre de second rang était également mouillé à proximité, sans doute un vaisseau de ligne désarmé. Bolitho l’examina dans sa lunette jusqu’à s’en faire mal aux yeux.

Les bâtiments entassés reposaient tranquillement à travers la lentille qui ne laissait pas filtrer les bruits, mais il devinait la panique et le désordre que devait faire naître l’arrivée de l’Odin fonçant droit sur eux. La chose paraissait impossible, et pourtant : un navire ennemi était en plein au milieu d’eux, ou le serait très bientôt.

— La Phalarope est à son poste, amiral, annonça Inch.

Bolitho dirigea sa lunette sur la frégate, dont les caronades étaient déjà pointées : on voyait les gueules trapues et assez repoussantes, toutes mises en batterie et qui formaient une longue rangée noire. Il crut apercevoir Pascœ, sans en être certain.

— Signalez à la Phalarope : « Prenez poste derrière l’amiral ! »

Il ne vit même pas les pavillons colorés qui montaient aux vergues et concentra plutôt son attention sur l’ennemi.

Il entendit une trompette dans le lointain, une sonnerie lugubre, puis aperçut quelques instants plus tard le bâtiment de surveillance qui mettait en batterie. Pourtant, il n’avait pas encore fait les moindres préparatifs pour lever l’ancre ou pour mettre sous voiles.

Dans son excitation, Inch prit Bolitho par le bras et lui montra le rivage :

— Regardez, amiral ! La tour !

Bolitho leva sa lunette et aperçut la tour dressée sur la pointe comme une sentinelle. Au sommet, les bras désarticulés du sémaphore en disaient plus qu’un long discours.

Mais si Browne avait détruit le sémaphore installé au sommet de l’église, il n’y avait plus personne pour voir puis pour relayer le message à l’escadre de Remond. Et même en supposant que ce même message fût passé dans une autre direction, et de là jusqu’à Lorient, il était trop tard pour sauver l’amas des embarcations.

Le boute-hors de l’Odin passait maintenant devant les derniers des navires à l’ancre, qui présentaient une barrière ininterrompue, environ un demi-mille devant eux.

De la fumée partit en volute du bâtiment de garde et le grondement du canon leur montra que les Français étaient désormais bien réveillés.

Quelques boulets soulevèrent de l’écume dans l’air, assez près par le travers, suscitant des cris de dérision chez les canonniers de l’Odin.

Graham avait les yeux rivés sur Inch qui avait levé son sabre au-dessus de sa tête.

— Sur la crête ! Parés, les gars !

Une rafale de vent un peu plus forte que les autres s’engouffra dans les huniers de l’Odin et le fit gîter, ce qui démasqua une partie de sa doublure de cuivre au soleil. C’est le moment qu’attendait Inch : il abaissa son sabre.

Un aspirant qui se tenait près d’un panneau ouvert sur la batterie basse cria :

— Feu !

Mais sa voix fluette se perdit dans le fracas dévastateur des dix-huit-livres de la batterie haute.

Bolitho observa les gerbes qui s’élevaient au milieu des navires à l’ancre. Les embruns retombaient encore que les trente-deux-livres de la batterie basse ajoutaient leur puissance et leur force de destruction. Il aperçut des planches de ponts brisées et des morceaux entiers volant dans les airs. Lorsque la fumée se dissipa, il se rendit compte que plusieurs des embarcations les plus petites avaient chaviré. A travers sa lunette, il aperçut quelques canots qui tentaient de s’éloigner, mais quelques-uns des équipages mouillés près de terre avaient réussi à couper leurs câbles et essayaient de se dégager.

— En batterie !

Une fois encore, les affûts se mirent à grincer, à gémir sur les ponts inclinés à la gîte, les gueules des pièces pointèrent par les sabords.

Le sabre s’abattit : Feu !

Plus lentement cette fois-ci, les chefs de pièce prenaient leur temps et pointaient soigneusement avant de tirer le cordon.

Le vaisseau français larguait ses huniers, mais était entré en collision avec deux chaloupes de débarquement qui dérivaient. Il tirait pourtant : deux boulets frappèrent l’Odin juste au-dessus de la flottaison.

Bolitho aperçut de la fumée autour du bâtiment de surveillance, l’une des chaloupes avait pris feu. L’incendie était peut-être dû à une bourre enflammée des propres pièces du vaisseau. Il voyait des silhouettes qui couraient dans tous les sens, des silhouettes minuscules et presque ridicules à cette distance. Ces marins venaient puiser de l’eau à l’avant pour tenter de préserver leur bâtiment des flammes. Mais l’enchevêtrement des gréements, la force du vent du large, voilà qui était trop pour leurs maigres forces. Bolitho vit les flammes progresser d’une coque à l’autre et finir par mettre le feu aux focs du vaisseau.

Ils étaient toujours en route de rapprochement et se trouvaient maintenant à moins d’une encablure de la chaloupe la plus proche. Dans les bossoirs, l’homme de sonde cria :

— Six brasses !

Inch se tourna vers Bolitho, l’air inquiet.

— On est allés assez loin, amiral ?

— Virez de bord, lui ordonna Bolitho.

— Parés à virer !

Tous les hommes disponibles se jetèrent sur les bras et les drisses, certains respiraient avec difficulté et essuyaient leurs yeux remplis de larmes. La fumée des canons.

— Parés ?

— La barre dessous.

Les rayons de la roue que l’on manœuvrait à toute vitesse luisaient au soleil, Mr. Graham annonça :

— Barre dessous, commandant !

Bolitho observait le spectacle des chaloupes qui dérivaient, désemparées, et qui défilaient devant les bossoir de l’Odin, jusqu’à donner l’impression de se trouver juste en dessous du boute-hors. Les voiles claquaient dans un fracas de tonnerre, les officiers mariniers étaient venus aider aux bras pour réorienter les vergues et faire venir le bâtiment à la route opposée.

Inch cria :

— Batterie bâbord, parée ! Sur la crête, monsieur Graham !

— Gouvernez comme ça !

M’Ewan attendait que la dernière voile fût convenablement bordée et bien gonflée.

— En route sudet quart est, commandant !

— Feu !

Les pièces bâbord reculèrent pour la première fois, la fumée s’engouffra par les sabords tandis que la pleine bordée s’écrasait et explosait au milieu des chaloupes de débarquement, leur causant des dégâts terribles.

Bolitho voyait s’allonger la silhouette de la Phalarope, ses voiles battant en tous sens tandis qu’elle suivait l’exemple du vaisseau amiral et virait à son tour. Elle était encore plus proche de l’ennemi, Bolitho imaginait sans peine la terreur que ses caronades allaient créer.

Le bâtiment de garde, désemparé, était en feu du grand mât jusqu’au gaillard d’avant, les flammes avaient atteint les voiles qu’elles transformaient instantanément en cendres.

Bolitho le vit trembler lorsqu’un mât de hune s’effondra comme une lance au milieu de la fumée. Il avait dû s’échouer, des silhouettes se débattaient dans l’eau, tandis que d’autres essayaient de gagner les rochers à la nage.

— Cessez le tir !

Un grand silence tomba sur le bâtiment, même les hommes qui étaient occupés à écouvillonner après la dernière bordée grimpèrent sur les passavants pour admirer la lente et majestueuse approche de la Phalarope.

— Regardez-la, amiral, fit Allday de sa grosse voix. Elle s’approche encore. J’en serais presque triste pour les mounseers.

Emes ne prenait aucun risque, que ce fût pour choisir ses objectifs ou pour ménager ses membrures. Les caronades tiraient l’une après l’autre, ce n’était plus le claquement en écho d’une pièce longue, mais des coups secs, comme le bruit du marteau sur l’enclume.

Même si les caronades lui étaient cachées, Bolitho voyait les coups tomber comme un orage de grêle au milieu des navires survivants. Mais cette grêle était faite de mitraille contenue dans une enveloppe qui explosait au contact.

Lorsque l’un de ces projectiles éclatait dans l’espace confiné d’un entrepont, la chose tenait du massacre. Sur ces chaloupes de débarquement, construites en bois peu épais, l’effet devait être encore plus horrible.

Emes prenait son temps, toutes voiles arisées à l’exception des huniers, pour donner à ses canonniers le temps de recharger puis d’envoyer une dernière bordée.

Lorsque les derniers échos s’éteignirent et que la fumée fut partie en grosses volutes, il n’y avait guère plus d’une douzaine de chaloupes encore à flot et il semblait très peu probable qu’elles n’eussent subi aucun dommage ni déploré aucune perte.

Bolitho replia sa lunette et la tendit à un aspirant. Il vit Inch, le visage réjoui, qui donnait une grande tape sur l’épaule de son second. Pauvre Inch ! Il leva les yeux en entendant la vigie les héler :

— Voile devant, sous le vent !

Une bonne douzaine de lunettes se levèrent d’un seul mouvement et quelque chose qui ressemblait à un soupir se propagea tout au long du pont.

Allday, qui se trouvait près de Bolitho, lui glissa :

— Il arrive diablement tard, amiral.

Mais sa voix ne trahissait pas le moindre plaisir.

Bolitho déplaça très lentement sa lunette au-dessus des lames brillantes. Trois bâtiments de ligne, comme soudés ensemble à cette distance, dont les flammes et les pavillons se détachaient en couleurs vives sur le ciel. Un autre bâtiment, sans doute une frégate, émergeait de derrière la pointe.

Il entendit les fusiliers qui traînaient les pieds et s’alignaient le long des filets de branle. Ils venaient de comprendre que leur besogne n’avait pas seulement commencé.

Allday, lui, avait tout compris depuis le début. Inch également, selon toute probabilité, mais il avait été si occupé par son bâtiment que tout cela lui était sorti de l’esprit.

Il aperçut l’aspirant Stirling qui s’abritait les yeux pour essayer de voir ce qui se passait devant, dans la direction de ces voiles si claires. Il se retourna et se rendit compte que Bolitho l’observait. Ses yeux devinrent ceux d’un petit garçon un peu confus.

— Venez ici, monsieur Stirling, lui ordonna Bolitho en lui montrant les vaisseaux dans le lointain. C’est l’escadre volante de Remond. Nous lui avons sonné le branle-bas de rude façon, ce matin.

— Allons-nous combattre, amiral ? demanda Stirling.

Bolitho lui fit un sourire, l’air grave.

— Vous êtes officier du roi, monsieur Stirling, pas moins que le commandant Inch ou moi-même. A ma place, que feriez-vous donc ?

Stirling essayait d’imaginer comment il allait raconter tout cela à sa mère. Mais les idées ne venaient pas et il ressentit soudain une certaine appréhension.

— Je me battrais, amiral !

— Rejoignez les timoniers, monsieur Stirling – et à Allday : S’il est capable de penser ainsi lorsqu’il a peur, voilà de quoi nous mettre à tous bien de l’espoir au cœur.

Allday le regardait, l’air dubitatif.

— Si c’est vous qui le dites, amiral.

— Ohé, du pont ! Deux autres vaisseaux de ligne qui donnent du tour à la pointe !

Bolitho croisa les mains dans son dos. Cinq contre un. Il voyait bien qu’Inch était atterré.

Se battre et mourir n’avait pas de sens, ce n’était qu’une variante de sacrifice humain. Ils avaient réussi ce que beaucoup avaient cru impossible. Neale, Browne et les autres ne seraient pas morts en vain.

— Ohé, du pont !

Bolitho leva les yeux vers la vigie perchée dans la hune d’artimon. Elle avait dû être si étonnée par la vue de l’escadre qui arrivait qu’elle en avait oublié de surveiller son secteur.

— Une lunette !

Bolitho arracha presque la sienne à l’aspirant et, sans voir ceux qui le regardaient, ébahis, courut aux enfléchures puis commença à grimper avec agilité jusqu’à se trouver largement au-dessus du pont.

— Trois vaisseaux de ligne par le travers sous le vent !

Bolitho examina les nouveaux arrivants et fut pris d’un haut-le-cœur. Sans qu’il sût comment, vents contraires ou pas, Herrick avait réussi à arriver. Il s’essuya l’œil d’un revers de manche et essaya de caler sa lunette pour mieux voir.

Le Benbow était en tête. Il aurait reconnu sa lourde coque et sa figure de proue n’importe où. Il aperçut la marque de Herrick qui flottait au vent. L’un après l’autre, les bâtiments de l’escadre viraient de bord, pour la centième fois sans doute, louvoyant pour rallier leur amiral.

Il se laissa redescendre jusqu’à la dunette et vit les autres le regarder comme des étrangers. Inch lui demanda doucement :

— Quels sont vos ordres, amiral ?

Bolitho jeta un coup d’œil à Stirling et à son monceau de pavillons de toutes les couleurs.

— Signal général, je vous prie, monsieur Stirling : « Formez-vous en ligne de bataille. »

Allday leva les yeux pour regarder les volées de pavillons qui claquaient au vent.

— Je parierais gros que les mounseers s’attendaient pas à ça !

Bolitho lui sourit. Ils étaient toujours inférieurs en nombre, mais il avait vu pire. Et Herrick aussi. Il se tourna vers Stirling :

— Vous voyez, j’ai suivi votre conseil !

Allday hocha la tête. Comment pouvait-il se comporter ainsi ? Dans une heure, peut-être moins, ils seraient en train de se battre pour sauver leur peau.

Bolitho leva les yeux vers la flamme du grand mât et essaya d’imaginer la bataille à venir. Si le vent se maintenait, ils pouvaient se battre au corps à corps. Cela donnerait l’avantage à Remond. Il valait mieux laisser à ses commandants la licence d’agir individuellement une fois qu’ils auraient percé la ligne ennemie.

Il examina l’embelle, les canonniers nus jusqu’à la taille, les boscos qui s’apprêtaient à hisser la drome pour mettre les embarcations à la remorque. Des canots sur leurs chantiers faisaient seulement des éclis de bois supplémentaires, et ceux qu’ils se préparaient à combattre n’étaient plus de vulgaires chaloupes de débarquement.

Il aperçut également quelques-uns des nouveaux embarqués qui discutaient entre eux. L’exaltation de leur première victoire était assombrie par l’arrivée de la puissante escadre française.

— Inch, dites aux fifres de nous jouer un air entraînant, cela les aidera à se détendre.

Inch suivit son regard et hocha la tête.

— C’est vrai, amiral, il m’arrive de l’oublier. Cette guerre dure depuis si longtemps… Je suis persuadé que tout le monde s’est déjà battu pour de vrai !

Et c’est ainsi que le soixante-quatre se dirigeait sur l’ennemi en cette matinée ensoleillée, marque de contre-amiral frappée au mât d’artimon. Pendant ce temps, les fifres et les tambours des fusiliers marchaient au pas, faisaient demi-tour, le tout dans un espace pas plus grand qu’un tapis.

Plusieurs des marins qui regardaient les vaisseaux ennemis se retournèrent pour admirer le spectacle. Ils se mirent à taper du pied en cadence au son entraînant du Capitaine de vaisseau.

Derrière l’Odin et la frégate qui l’accompagnait, la baie remplie d’épaves était noyée sous la fumée qui dérivait lentement. La fin d’un rêve.

 

Victoire oblige
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